Les Attracteurs de Rose Street, de Lucius Shepard



Quand tu ouvres un livre de la collection "Une Heure Lumière" chez Le Bélial’, tu as le sentiment d’ouvrir une pépite. Les couvertures créées par Aurélien Police n’y sont pas pour rien. La composition de ses dessins est celle du rêve, d’une faille conduisant au monde imaginaire de l’auteur. La facture du livre y est aussi pour quelque chose : la couverture est lourde, encadrante ; ces rabats peuvent servir de marque-pages mais donnent aussi l’impression d’un écrin ; les pages ont un grain qui est comme une caresse rugueuse au toucher. Une vraie promesse que ces volumes. Une parenthèse, un voyage bref, qui ne prendra que quelques heures.



Samuel Prothero est aliéniste. Il vient d’intégrer le Club des Inventeurs de Londres afin de se faire une place dans la haute société Londonienne. Mais le destin, ou plutôt, l’étrange Jeffrey Richmond, en décide autrement : il requiert les services du jeune homme et l’entraîne dans le quartier mal famé de Londres où il habite. Cette expérience va changer toute sa vie...


Je ne m’étais pas imaginé une histoire de fantôme. Je ne sais pas : cette maison sombre, dont la fenêtre éclairée souligne par contraste une silhouette humaine, me faisait penser à une secte, peut-être ? Les attracteurs auraient été des gens influents, gourous... Mais rien à voir, finalement.😅

Le roman présente un cadre magnifique dont je me suis délectée : le Londres Victorien du XIXe siècle. Le Club des Inventeurs m’a fait penser au Reform Club du Tour du Monde en 80 jours de Jules Verne, bien que Shepard en souligne les aspects retors de ses membres. J’ai adoré emprunter la rue mal famée de Rose Street : on s’y encanaille ; on s’imagine les crimes les plus vils et les plus sombres. D’autres lectures remontent à la surface... 

La maison de Richmond est aussi un lieu exotique : on en voit le salon orientalisant (C’est vrai que c’était la mode à l’époque !) ; on s’imagine encore batifoler avec ses anciens habitants peu recommandables ; puis d’autres pièces, d’autres étages font leur apparition. Tout en haut, un étage complètement dévolu aux machines : voilà pour le steampunk. Des machines dont la pollution (très bien rendue dans le Drood de Dan Simmons par exemple) rend l’usage tout à fait acceptable. Etrange construction que cette maison, tout de même, qui sert de contrepoint parfait à ce qu’on imagine être les plans du Paradis, du monde terrestre et de l’Enfer. Je crois qu’on pourrait faire toute une thèse rien que sur cette maison...

Plusieurs thématiques sont abordées. Comme souvent, la science joue un rôle à la fois de destruction et de tentation, une sorte de sorcellerie d’homme, qui flatte son orgueil et le pousse à sa perte. Voilà, je pense, le point commun avec le Frankenstein de Mary Shelley.
La mystique instillée dans le texte, les manifestations spectrales, sont propres à cette période. L’évolution en étant assez prévisible, je me suis dit que l’intérêt était sans doute ailleurs. Dans l’idée qu’on se fait de la réalité peut-être ? De la différence qui existe en l’exaltation de qui ignore encore le monde et la perversion de qui l’a vécu ? Comme si la laideur de la pauvreté des quartiers de Londres induisait une laideur morale et que quiconque y frayait y perdrait quelque chose , ses espoirs, ses valeurs, ou bien s’y serait rendu pour les avoir déjà perdues.

Les personnages du roman ne sont qu'esquissés (Vous me direz : c'est un roman court ; rien d'étonnant à ça !). Les secrets semblent avoir le dessus. 
Comme souvent dans le cas où il est surtout observateur, le narrateur n'a pas une grande substance. Samuel est un jeune homme ambitieux. Son métier est nettement plus original : il est aliéniste. Cependant, je suis frustrée : je n'ai pas eu l'impression de toucher du doigt en quoi consiste ce métier : ses procédures, ses théories... 
Quant à Richmond, l'homme est assez peu accessible : étrange, poursuivi par une mauvaise réputation décernée par des snobs, passant pour, au moins, excentrique, d'habiter dans les bas quartiers malgré ses moyens, c'est un scientifique acharné, prêt à repousser les limites d'une science sur laquelle il est tombé par hasard. 
La maison semble aussi habitée par le personnage de la soeur de Richmond, jeune femme tourmentée, amorale, dont la présence continue de se sentir dans la maison. C'est l'aura de cette soeur qui est intrigante, dans ce roman.


En refermant le livre, je ne peux m’empêcher de penser qu’il manque quelque chose, dans ce roman, dont je ne parviens pas à rassembler toutes les ficelles et symboliques. Mais que manque-t-il au juste ? Une centaine de pages permettant d’approfondir l’ambiance ? Les personnages ?


Voilà une collection, qu'il ne faut pas rater, pour ses choix éditoriaux et voilà un roman qui parvient à rendre tout à la fois l'époque et son ambiance. Hormis les relations entre les personnages, assez malsaines, qui sortent de l'ordinaire, l'intrigue surnaturelle est assez classique.





***

Un autre roman de la collection "Une heure Lumière", chez Le Bélial' ?



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