L’ambition des femmes, celle qu’on a pour elles et qu’elles ont pour elles-mêmes.



Je suis en train de lire Les Mémoires d’un métier de Stephen King et une pensée me vient. Au détour d’une page, il explique que sans le soutien inconditionnel de sa femme, il n’aurait pas eu la carrière qu’il a eue : c’est quand même elle qui a récupéré le premier jet de Carrie dans la poubelle, sous les cendres de cigarette. En lisant l’enfance de Stephen King et comment sa mère, certes un peu fantasque, a encouragé le tout jeune garçon à ne pas se contenter de recopier ou de plagier les histoires des autres mais à inventer ses propres histoires, je me dis que la mère a elle aussi été pour une grande part dans la vocation de l'écrivain.
Sur Internet, je jette un œil à Tabitha King, pour voir un peu sa tête et parcours la liste de ses œuvres. C’est une romancière également, dans le genre de l’horreur aussi. Mais ses œuvres sont plus rares, les années de publications plus espacées, sachant que son mari publie une fois par an environ.
Je me fais donc la réflexion suivante : cette femme a-t-elle bénéficié d’un soutien équivalent à celui de son mari ? Visiblement, elle avait des ambitions littéraires : ils se sont rencontrés à l’université et ont fait vraiment connaissance dans un club d’écriture. C’est d’ailleurs sa plume et ses convictions qui ont séduit King. Mais aujourd’hui, elle publie un livre tous les 3-5 ans, écrit des nouvelles et s’occupe surtout d’œuvres de bienfaisance sociale. Loin de moi l’idée de critiquer ses choix à elle, et ceux de son mari. Je pose juste un constat.
Puis, je me rappelle la biographie de Sartre, Les Mots. Le petit garçon a lui aussi fait ses armes en recopiant puis en imitant des œuvres de son enfance, sous le regard bienveillant de son entourage. S’il y a critique, dans le roman, c’est Sartre lui-même qui se l’inflige, de l’adulte à l’enfant qui a été, ce petit maître singeant les grands pour le plaisir des adultes. Encore un entourage qui soutient le projet d’écriture d’un petit garçon.
Ce ne sont que deux exemples ; j’en suis bien consciente. On ne peut en faire une généralité, mais ça m’interpelle. Qu’en est-il des ambitions féminines ? Celles des projets risqués ?

Ma toute première histoire était très courte ; je l’ai écrite à l’école primaire, comme ça, sans projet précis, sur un coup de tête. Le projet est devenu plus conscient au collège, quand j’ai eu envie de prolonger les travaux de rédaction qu’on faisait en classe de Français. J’ai plusieurs cahiers d’écriture dans mes placards. J’ai même écrit un « roman » en 4e, une histoire d’amour un peu nigaude, qui ressemblait à d’autres que j’avais lues. Jusqu’au lycée, j’affirmai haut et fort que je serais plus tard « riche et célèbre », sous-entendant « une autrice reconnue ». Pour le riche, on repassera, hein ?, compte tenu des soucis que rencontrent les auteurs aujourd’hui.
Mais en cours de route, il s’est passé un truc. 
J’avais la conviction qu’il me fallait un métier sûr, enseignante par exemple. Les métiers d’art étaient risqués : ce seraient en plus, une cerise sur le gâteau ; d’abord, il fallait assurer ses arrières. Aujourd’hui, mes arrières sont assurés. Quoique. Et je n’ai quasiment plus rien écrit depuis le lycée. 
Que s’est-il donc passé ? 
Eh bien, ce qui se passe pour la plupart des filles, je pense. Je manquais de confiance en moi, comme tout le monde. Et je n’ai pas été soutenue dans mes projets. L’enthousiasme était déjà tiède pour mes réussites dans les études alors, tu parles : écrire un roman ?! J’ai bien montré deux, trois histoires, accueillies de manière tiède aussi. Pas de soutien, pas de confiance en soi. Quelle folle aurais-je été de me lancer dans le projet de devenir autrice ?

Tout ça pour dire que, même si ce n’est qu’une conviction personnelle, fondée sur quelques exemples et ma propre expérience, je pense avec de plus en plus de force que les filles sont nettement moins soutenues que les garçons dans leurs ambitions, quand il s’agit de projets risqués mais qui apporteraient cependant un épanouissement plus grand. (Car aux risques encourus, on peut mesurer les bénéfices obtenus).

Aujourd’hui, On s’interroge sur l’égalité de traitement salarial hommes-femmes, sur les jouets à proposer aux uns ou aux autres, à la possible (souvent contestée) liberté de la femme à disposer de son propre corps, je pense qu’il faudrait déjà se questionner soi-même, homme comme femme, sur ses propres valeurs, ses propres réactions, qui s’appuient sur une éducation et un vécu modelés par des siècles, voire des millénaires où les hommes ont été aux commandes, pour toutes les grandes décisions qui affectaient l’ensemble de la société. 
Enseigne-t-on à sa fille à disposer d’elle-même comme on le fait à son fils ? Lui donne-t-on la même liberté de penser et d’agir ? Lui assure-t-on le même soutien dans ses projets ? Lui laisse-t-on la possibilité d’avoir des ambitions ? Ou bien lui demande-t-on d’être raisonnable, pour son propre bien et sa propre sécurité ? Ou bien lui montre-t-on déjà qu’on n’a pas confiance en son potentiel parce qu’on remet en doute les choix d’une femme ? Ses propres choix en tant que femme ?
C’est un questionnement que j’ai pour moi-même, mais aussi pour l’ensemble des sexes. Qui serais-je si on m’avait fait vraiment confiance ? Si on n’avait pas tenu pour une passade une ambition d’enfant ? Quelle attitude aurais-je envers mes propres ambitions ? Et celles des petites filles que je croise et que j’ai croisées ?

En tout cas, je remercie ces femmes qui aujourd’hui, font l’éducation d’autres femmes et de leurs filles, celles qui œuvrent pour les désenclaver du statut que leur inflige la société : les femmes, comme Margaret Atwood, qui écrivent pour prévenir d’autres femmes que leurs droits sont les premiers à être repris dans une société en crise ; les femmes qui, comme Asia Argento, osent dévoiler, face caméra, qu’elles ont été violées sous le regard silencieux du monde du cinéma ; d’autres, comme Blandine Gardin, qui racontent, devant public, un viol qu’elles ont subi et parviennent à  supporter le rire que leur récit cause ; les femmes qui parlent peu mais cul, sur Internet, abordent, le plus librement qu’elles peuvent, le sexe au féminin et en subissent les conséquences ; les femmes, qui s’illustrent dans leurs métiers, leurs arts et deviennent ainsi des modèles à suivre pour les petites filles dont on fait encore taire les trop ambitieuses ambitions.

Une femme peut avoir l’ambition d’avoir un corps qui lui appartienne totalement, d’exprimer qu’elle ne veut pas avoir de rapport, qu’elle n’aime pas tel geste ou telle attitude, d’avoir la sexualité qu’elle souhaite, selon son propre mode d’épanouissement.
Une femme peut poursuivre l’ambition de son enfance. Si fantasque soit-elle. Si risquée soit-elle. Si déraisonnable paraisse-t-elle.
Pourvu que d’autres femmes lui montrent la voie. Que ces exemples de femmes soit mis à l’honneur. Que son entourage, de tous genres, l’encourage et la soutienne dans ce qu’elle est, dans ce qu’elle rêve d’être et dans ce qu’elle fait. Que les hommes ne fondent plus leur honneur et leur virilité sur le pouvoir qu’ils auront acquis sur les femmes, mais bien plutôt leur fierté sur le fait de s’être comportés en Homme, en être humain, en leur laissant une place sur un podium qu’ils ont trop longtemps gardé égoïstement pour leur seule estime d’eux-mêmes. Et pourvu que, une fois qu’elle-même a gravi une marche, elle tende derrière elle la main pour en aider d’autres à la suivre et à la précéder.

Commentaires

Voyageusedesmots a dit…
Je ne sais comment exprimer mon ressenti sauf en te disant que ton texte me parle.
Mira a dit…
Ah tant mieux ! Merci pour ton commentaire !

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