Mélissa sac à gras, de Carène Ponte (où je chronique et où je m'étale un peu sur le harcèlement scolaire et la relation entre les professeurs et les élèves...)



Mélissa sac à gras m'a été proposé par Librinova. La thématique abordée m'a séduite : j'ai accepté et je l'ai dévoré en une journée.😆 



Quand son père est muté à Valières, Mélissa doit laisser derrière elle sa ville normande, son lycée et sa meilleure amie pour suivre ses parents. Elle redoute d’être mal accueillie dans ce nouveau lycée et malheureusement, ses doutes se confirment. Seul son professeur d’Allemand semble voir la vraie Mélissa.



Comme je vous l'ai dit, en introduction, il m'a été impossible de lâcher ce roman avant de savoir comment l'histoire se termine pour Mélissa, d’abord lorsqu’elle est harcelée puis quand elle prend une décision désespérée.

La jeune fille nous raconte son histoire ; elle nous fait partager son quotidien d’adolescente de 17 ans : elle nous montre combien l’amitié est importante pour son équilibre, comment le regard des autres prend souvent le pas sur le sien, quand on manque de confiance en soi, comment un simple individu peut influencer toute une classe et amener à exclure un autre élève.

Le harcèlement va très très loin. Je n'ai pu m'empêcher de m'exclamer durant la lecture : CE N'EST PAS POSSIBLE, MAIS CE N'EST PAS POSSIBLE ??? 
Comment les professeurs ne voient-ils pas ce que font les élèves, devant eux ? Comment n'entendent-ils pas ? Sont-ils aveugles ? Sont-ils sourds ? Ne veulent-ils ni entendre ni voir ce qui se passe pourtant sous leurs yeux ?
Pourquoi la mère de Mélissa ne creuse-t-elle pas davantage la question quand elle voit que Mélissa se replie sur elle-même ? Bon, c'est vrai que cette dernière est un mur et trouve différentes techniques pour fuir les questions de sa mère...
Et pourquoi aucun des camarades de Mélissa ne réagit-il ? Ont-ils tous trop peur de Morgane, ou de Justin ? Ou sont-ils trop lâches ou trop bêtes pour s'opposer à eux ? Ne se sentent-ils pas un peu sales, un peu honteux, d'assister au massacre d'une de leur camarade ? De la voir se débattre et se reprendre un coup ?
J'ai été élève et j'ai subi une forme de harcèlement : un groupe de jeunes filles s'est moqué de moi ; un autre élève a mis de la glue sur mon manteau tout neuf ; on m'a bousculée, on m'a tiré les cheveux, on m'a frappée. Je me demande comment j'ai pu survivre à ça. Il est vrai que je n'ai pas du tout aimé le collège, que j'ai fui la cour de récré comme la peste. Mais en même temps, je crois que j'étais déjà bien formée à me défendre ; j'ai eu cette chance-là. Car oui, chaque fois, j'ai pu me défendre : je me suis à mon tour moquée, j'ai à mon tour frappé et tiré des cheveux. Ma soeur a eu moins de chance : bien trop gentille pour affronter ses bourreaux.
A présent, je suis professeur. En collège. Je suis persuadée que je ne vois pas tout. Par contre, je suis satisfaite d'une chose : j'ai l'oreille exercée. Je les entends, ces petites remarques qui moquent et qui excluent, je les relève et j'incendie les élèves qui en sont les auteurs. Et je sais que les élèves se sentent assez à l'aise pour venir me dire quand ils ont un souci. Cela me rassure : à mon échelle, j'agis contre le harcèlement.

Mélissa va ensuite prendre une décision assez définitive. Elle va se venger. J'ai trouvé ce passage jouissif. Les procédés utilisés ne sont pas jolis jolis, mais elle prend enfin les choses en mains ; elle ne va plus subir. Et au passage, elle venge, au moins par l'imaginaire, les nombreuses victimes de harcèlement qui se sentent bien trop isolées et en-dessous de tout pour réagir, demander de l'aide, se défendre. 

La religion chrétienne, qui imprègne notre culture, nous dit : pas de loi du Talion ; pas d'oeil pour oeil, de dent pour dent. Car ça dégénère et que ça vire au conflit. Car c'est se rendre indigne de soi, tomber au niveau, très bas, de l'adversaire. 
J'ai toujours eu un souci avec cet enseignement. Si je n'avais pas tiré des cheveux, quand on a tiré les miens, la demoiselle serait revenue à la charge. Si je n'avais pas frappé quand on m'a frappée, le garçon aurait continué. Si je ne m'étais pas moqué, quand d'autres se sont moqué, ces filles auraient pensé que j'étais faible et qu'en m'agressant à plusieurs, elles auraient eu le dessus. 
On me dira (Ce que je dis aussi à mes élèves) : 
- Mais tu aurais pu le dire à un adulte !! 
Y ai-je pensé ? Non, pas une seule fois. Je trouve cela étonnant, aujourd'hui, qu'étant élève, je ne me sois pas plainte auprès d'un enseignant, d'un surveillant, d'un adulte. Mes parents se souviennent très bien des brimades subies par ma soeur ; ils n'ont jamais su celles que moi j'avais endurées. Je n'ai pas d'explication à ça : les adultes m'ont peut-être semblé trop loin, à ce moment-là.
Par contre, j'ai su assez tôt que la société n'était pas si policée que ça (et là, je parle autant des enfants que des adultes). D'ailleurs, s'il y a des lois, s'il existe une justice, c'est bien parce que naturellement, les individus sont amenés à s'en prendre aux plus faibles qu'eux. Rapidement, j'ai su que pour être tranquille, il fallait montrer les dents et donner un coup de griffe au besoin. 
"Mais nous ne sommes pas des animaux ?!!" me rétorquent certains. Mais alors, pourquoi le crier aussi souvent et avec autant de véhémence ? Ne serait-ce pas pour mieux s'en convaincre, parce que précisément on en doute ?

Carène Ponte s'en sort bien, avec cette épineuse question de la réponse à donner au harcèlement. Elle nous offre à la fois une vengeance cathartique et une solution plus conforme aux attendus moraux. 

Quant au comportement du professeur d'Allemand... Est-ce que cela m'a étonnée ? Pas le moins du monde, ayant assisté à une histoire assez proche étant lycéenne. Est-ce que ça m'a indignée ? Bah tu m'étonnes, Yvonne !!! Car j'ai été adolescente et que j'ai connu ce type d'adulte, en position d'autorité et qui en profite. Quelle enflure !!! Il est d'autant plus répugnant que sa technique est bien huilée, que sa victime est choisie pour son isolement social et son incapacité à se défendre. Cela me répugne, car je sais que ça existe. Toute personne en position d'autorité est susceptible d'en abuser. Mais un adulte saura, ou pas, s'en défendre (En tout cas, ce sera son problème.), mais alors avec un enfant ou un adolescent ?!!! 😡Poser ainsi sa sexualité d'adulte sur un enfant ?!!!! 😡 
Enseigner, c'est considérer l'enfant ou l'adolescent comme un individu, dans son entier. On est amené à échanger avec lui, à apprendre, même parfois, de lui, à admirer aussi ce qu'il est, ce qu'il sait, ce qu'il peut faire, ce qu'il sera susceptible de faire. 
Enseigner, c'est faire en sorte qu'un élève puisse grandir, et donc rejoindre le rang des adultes dont on fait partie.
Néanmoins, il ne faut jamais oublier que si on le guide vers l'âge adulte, il n'en est pas un pour autant, que s'il peut nous surprendre par son savoir, une forme de maturité ou encore être touchant par ce qu'il vit, il reste un individu en formation qui a besoin de soutien et de protection, et pas qu'on porte sur lui un regard sexualisé.
Je pense que certains adultes peuvent l'oublier (On est d'accord, hein ? Je n'excuse pas du tout un tel comportement !), car il existe bel et bien un lien affectif entre enseignant et élève, qu'on nie, haut et fort, précisément parce qu'on redoute ce type de comportement. Ce lien vient du fait que pour être en mesure d'apprendre, un enfant ou un adolescent doit se sentir protégé et estimé ; il cherche donc l'affection de l'adulte qui enseigne. Parce qu'il est conscient de ce lien entre affection et apprentissage, ou parce qu'il en a l'intuition, l'adulte offrira à l'élève le lien affectif dont il a besoin. Le souci, c'est que rendu taboue, cette relation affective peut déraper. Si les enseignants étaient formés à la psychologie de l'enfant et de l'adolescent, s'ils savaient ce qui se joue dans la relation enseignant-élève, je suis bien certaine que, au moins dans les situations de confusion, les limites ne seraient plus franchies.

Dans le roman de Carène Ponte, aucune confusion n'est possible : ce professeur abuse consciemment de sa position. 

Le roman de Carène Ponte m'a beaucoup touchée. Son personnage est vraiment attachant et sa situation intolérable, bien qu'elle fasse écho à des millions d'expériences similaires. L'autrice sent, cependant, qu'il y a quelques imperfections. En effet, je pense qu'il doit être très difficile de proposer un roman absolument abouti sur un sujet qui nous touche personnellement. C'est peut-être pour cette raison que beaucoup d'écrivains en sortent plusieurs sur le même sujet, pour affiner leur réflexion ? 😅 
Un détail aurait demandé un traitement différent ou plus approfondi : le régime que suit Mélissa est tout à fait caractéristique des régimes que peuvent faire les adolescents, mais c'est aussi très dangereux, car elle ne mange plus rien. Or, dans le roman, le danger n'apparaît pas. Elle est même plutôt récompensée pour sa perte de poids. J'ai trouvé cela problématique.
En revanche, j'ai trouvé le traitement du bourreau, Morgane, tout en subtilité : bravo !!


Vous voyez comme ce roman m'a touchée et fait réfléchir, sur le harcèlement scolaire et sur la relation entre professeur et élève. Je ne détiens évidemment pas la vérité, ni la solution à de telles situations et ce ne sont, bien sûr, que mes propres ressentis et conceptions, dont les subtilités vous sembleront peut-être au-delà de la morale. En tout cas, n'hésitez pas à me dire ce que vous, vous en pensez. Et lisez Mélissa, sac à gras !



Commentaires

gambadou a dit…
Et bien, moi qui veut travailler l'année prochaine sur le thème du harcèlement et de l'empreinte qu'il laisse, voilà une lecture toute trouvée.

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