Le monde selon Britt-Marie, de Fredrik Backman


Obtenu grâce à une #MasseCritique privilégiée de Babelio, ce livre est une bouffée d’oxygène.




Britt-Marie est seule. Plus de mari à entretenir. Des enfants, (pas les siens) bien trop grands pour donner des nouvelles. Obsédée par ce qui est convenable ou pas, elle veut à tout prix obtenir un travail. A force de ténacité, elle obtient un emploi dans un patelin perdu : gardienne pour 3 semaines à la MJC de Borg, job voué à disparaître comme tous les jobs et boutiques de la ville. Là, seuls les pizzas et le foot tiennent encore ses habitants debout : rien, mais alors rien à voir avec Britt-Marie et sa maniaquerie du ménage...


Quel drôle de personnage que Britt-Marie ! Mon dieu, ce qu’elle peut être agaçante ! Moi, qui ne supporte pas les boulets dans les films que je regarde (les grands blonds avec une chaussure noire, tout ça...😷), les subissant au moins autant que les personnages, j’aurais failli passer à côté d’elle si je n’avais décelé chez elle une faille, une souffrance.


"Certaines personnes ne comprennent pas l'intérêt des listes, mais Britt-Marie n'en fait pas partie. Elle en a tellement, elle est obligée de tenir une liste de toutes ses listes. Sinon, n'importe quoi pourrait arriver. Comme mourir. Ou oublier de racheter du bicarbonate."



Car voyez-vous, Britt-Marie se raccroche à ce qu’elle connaît, parce qu’elle est aussi perdue et sans but que la petite ville dans laquelle elle va séjourner. Alors oui, elle est psychorigide, a un sens aigu, mais absurde, de ce qui se fait ou pas, est une maniaque du ménage et doit lutter contre tous les préjugés qu’elle a envers la pauvreté, la crise, le foot... Mais en réalité elle fait juste ce qu’elle peut pour appréhender un monde qu’elle ne connaît pas.
Car voyez-vous, à soixante-trois, elle n’a jamais vraiment vécu par elle-même et pour elle-même.
Britt-Marie est drôle, malgré elle, et touchante, parce que terriblement humaine.


"Pendant un temps, jeunes adultes, (les enfants) promettaient encore de leur rendre visite pour Noël. Puis ils avaient commencé à avancer des prétextes. Au bout de quelques années, ils ne s'embarrassaient plus d'excuses. Désormais, ils ne faisaient même plus semblant de vouloir venir. La vie était ainsi faite. Au bout du compte, on repartait les mains vides."



Borg est une petite ville en bord de route, abandonné par les autorités, qui le laissent mourir à petits feux, voire en hâtent la fin. Ses habitants l’abandonnent, faute de travail et de perspective d’avenir. Ne restent que les vieux et des jeunes laissés à eux-mêmes.
Son centre névralgique est la pizzeria qui fait aussi office de bureau de poste, d’épicerie, de garage, de café... où on se réunit pour regarder les matchs de foot. Elle est tenue par une femme en fauteuil roulant, qui boit beaucoup trop, mais qui sait accueillir Britt-Marie, à sa façon un peu rude. Deux enfants vont et viennent, Vega et Omar, qui s’affrontent au foot à côté de la pizzeria et devant la MJC, sur un terrain  de fortune, délimité par des canettes de soda et éclairé par les phares d’une voiture. Vega est mordue de foot et Omar vous trouve tout ce dont vous avez besoin. On les aime de survivre comme ils peuvent. Et on apprend à aimer leur grand-frère, Sami, tout aussi paumé qu’eux, mais qui tient leur famille à bout de bras et se montre d’une loyauté sans faille. N’oublions pas Sven, le policier, qui prend soin des habitants de Borg mais ne fait pas le poids devant la misère sociale et les petites frappes.
D'un abord triste, sale et misérable, la ville n'a rien d'une station touristique, pas même l'attrait d'un relai routier ; on aurait presque peur d'y rester bloqué, à l'image de ses habitants, si on s'y arrêtait. Mais, quand on fait connaissance avec ceux qui restent, qui ont abandonné ou pas, on est intrigué par ces personnages, un peu étranges, mais dont la solidarité finit par nous les rendre attachants et la ville, soudain, prend du galon.


Si la rencontre est détonnante, peu à peu, la trop droite Britt-Marie et les habitants de Borg apprennent à se connaître, surtout quand Britt-Marie devient malgré elle l’entraîneur de foot des enfants ! Chacune des deux parties sait tirer de l’autre ce qu’il lui manquait : le sens de l'adaptation, l’ouverture aux autres, le fait de prendre soin les uns des autres, mais aussi de soi, l’espoir...


"Elle place également des verres devant les enfants. L'un d'eux, celui que Britt-Marie ne décrirait jamais comme "obèse", mais qui donne l'impression d'avoir souvent chipé la limonade de ses camarades, lui dit avec entrain qu'il "préfère boire dans une canette".
- Certainement pas, ici on boit dans un verre, articule impitoyablement Britt-Marie.
- Pourquoi ?
- Parce que nous ne sommes pas des animaux.
Le garçon observe sa canette de limonade dans un silence songeur, puis demande :
- Il y a des animaux qui arrivent à boire à la canette, en-dehors de l'homme ?"


Autour du foot. Oui, vous m'avez bien entendue : le foot, un sport qui me laisse franchement indifférente. Mais voilà, le narrateur en parle si bien, cette passion, qui finit par contaminer la moins footeuse des personnages, est le point d'orgue du roman, le prisme qui révèle à la fois la misère sociale, le désir et la possibilité de s'en sortir.


"La passion est enfantine. Banale et naïve. Elle n'est pas acquise, mais instinctive, nous submerge. Nous renverse. Nous entraîne. Les autres sentiments appartiennent à la terre, mais la passion relève de l'univers. C'est pour cela qu'elle en vaut la peine. Pas pour ce qu'elle nous apporte, mais pour ce qu'elle nous demande de risquer. Notre dignité. L'incompréhension d'autrui et les signes condescendants de la tête.
Quand Ben marque le but, Britt-Marie pousse un cri. Ses semelles quittent le sol du gymnase. Il y a peu de gens qui reçoivent une telle bénédiction en plein mois de janvier. L'univers."



Après avoir ri des jugements à l’emporte-pièce de Britt-Marie et des situations embarrassantes dans lesquelles elle se met, elle-même ou les autres, on s’attache à l'héroïne et à ceux qui parviennent à aller au-delà de la rudesse de ses jugements et on se sent transporté de voir que les uns et les autres se font du bien, qu’on peut revenir d’où l’on est descendu.

La narration est bien menée. Le narrateur nous guide d'un lieu à l'autre, d'une étape de la vie de Britt-Marie à une autre. Certaines de ses affirmations, la façon dont il nous dépeint le monde, montrent une vision très juste des rapports humains.

" Parfois, il est plus facile de vivre sans se connaître quand on sait au moins où on est."

Voilà donc un livre qui nous regonfle à bloc ! Pas de sentimentalisme, pas d'apitoiement, une représentation réaliste d'une petite ville touchée par la crise et d'une femme, arrivée au terme d'une étape de sa vie, qui vont apprendre à rebondir, ensemble.



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