Détroit, le film qui prend en otage ses spectateurs
Évidemment, ce n’est pas moi qui ai eu l’idée d’aller voir un tel film, je veux dire : une histoire sur des émeutes, pas bien réjouissant, tout ça ; je préfère rêver, moi, au cinéma. C’est une amie, cinéphile omnivore, qui me l’a proposé. L’horaire était tardif, un samedi soir, où j’aime assez cocooner. Je n’étais donc pas très motivée. Par acquit de conscience, j’ai fait un saut sur AlloCiné pour en voir la bande-annonce et j’ai changé d’avis (Cliquez sur l'affiche pour y avoir accès vous aussi 😉). Comme on dit, on y a que les imbéciles... Bref. Une bande-annonce percutante, rythmée, propice au suspense et ponctuée de commentaires élogieux, de différentes pointures du cinéma, martelés en lettres capitales rouges, une excellente note. « Bon, me suis-je dit, ce serait trop bête de passer à côté. »
De quoi parle le film ?
Dans les quartiers noirs de Détroit, la colère monte, contre l’Oncle Sam, qui parque les noirs dans des ghettos et oublie de faire profiter les noirs du rêve Américain, contre la police aussi, quasi intégralement blanche, qui fait de violentes descentes dans les tripots, où les gens passent juste de bons moments à boire, à danser et à jouer.
La colère et la désillusion sont telles que le quartier entier tourne à l’émeute, se saccage de l'intérieur et se retrouve en état de siège par la police et l’armée.
C’est au creux de ces événements qu’a lieu la tragédie de l’hôtel l’Algiers.
Qu'en ai-je pensé ?
Durant le film, je me suis surprise à m’agiter sur mon siège, à fulminer de colère et de frustration. Pourquoi ? Parce que les spectateurs sont littéralement pris en otages par le film de Kathryn Bigelow.
Mêlant images d’archives, qui semblent issues d’un reportage de guerre, et séquences filmées caméra à l’épaule, comme s’il s’agissait d’une émission en immersion, Détroit entraine ses spectateurs dans la réalité de l’époque : la musique, l’insouciance des années 60, le climat de méfiance de la banlieue de Détroit. On suit les aspirations d'un jeune groupe de chanteurs, ou encore le quotidien d'un commissariat, écartelé entre de jeunes hommes de terrain, qui connaissent la réalité du champ de mines dans lequel ils se rendent tous les jours, et leurs supérieurs, plus âgés, installés dans leurs bureaux et jugeant de la situation depuis ce lieu, en toute sécurité.
Toute une première partie du film pose le décor et les différents protagonistes sans qu’on voie tout de suite le lien. Mais cela ne dérange pas : on prend la température. On visite ainsi les rues propres, puis sinistrées, de Détroit, le commissariat de police, une grande scène de la chanson noire, l’hôtel l’Algiers, un tripot... Comme dans la vie, l’insouciance côtoie la violence.
Puis tout se resserre, comme dans un goulot, autour de l’hôtel l’Algiers, à la base territoire de réjouissances pour la jeunesse noire et celles qui veulent un peu s’encanailler et profiter de la liberté sexuelle de ces années-là. Dès lors, la tension ne fera que monter, monter, monter, jusqu'à l'explosion.
Un seul « coup de feu », tiré avec l’effronterie un peu bête de la jeunesse, va mettre ce lieu en état de siège et faire de sa jeunesse les otages de policiers devenus fous.
Dans nos sièges de cinéma, on assiste à tout ça, on voit, gros comme une maison, les rouages de cette infernale machine se mettre en place et l’on se sent impuissant.
La réalisme de la mise en scène et de la narration, l’opposition entre l’insouciance de l’époque et le climat de défiance qui pollue Détroit et le jeu bluffant des acteurs, Will Poulter, Hannah Murray et John Boyega, qui nous invitent à partager le point de vue même le plus discutable de chacun des protagonistes de la tragédie, prennent au piège le spectateur ; de voyeur enthousiaste et nostalgique d'une époque qui lui semblait à première vue peut-être plus libre de moeurs (Ah ! les années 60 !), il devient le témoin, peut-être même le complice, de la scène qui se déroule sous ses yeux. D'ailleurs, la réalisatrice ne nous épargne rien ; elle déroule tous les fils jusqu'aux moindres conséquences de la tragédie, sans doute nettement moins connues. Que deviennent les bourreaux ? Et les victimes ?
C’est choquant, révulsant, absolument percutant.
Et on n’est pas sans voir, dans ce film, le miroir de notre époque : de témoignage, il devient présage. A se défier ainsi les uns des autres, à se replier chez soi, à faire monter la pression, en compromettant nos valeurs, en acceptant qu’un état d’urgence devienne permanent, en donnant à la police et à l’armée de plus en plus de moyens de nous défendre de ce qui nous menace, ne risque-t-on pas, un jour, de laisser mettre le feu aux poudres ?
Commentaires
Et oui, c'était il y a des années, mais à bien des égards, je trouve notre monde toujours aussi intolérants et encore plus violents. L'ère Trump n'y est certainement pas étrangère...
Heureusement que certains réalisateurs, pourtant issus au départ des courants mainstream, trouve le ton pour nous faire réagir, nous montrer que nous sommes nous tous les seuls responsables de tout ce qui se passe dans ce bas-monde. Voilà ce que, personnellement, j'appelle un film "utile".