Derrière le cri, d'Alexandre Lemasson



Tout est parti d’un malentendu. Le résumé présenté sur la page de la Masse Critique, mal lu peut-être, m’a fait penser au Cercle des Poètes Disparus : un professeur inattendu initie un jeune homme à la beauté et à la puissance des mots. Le titre vient appuyer mon hypothèse : Derrière le cri. Où n’ai-je pas vu qu’il était mentionné « poésie »?

J’écris de la poésie mais jamais n’en lis d’autre que la poésie classique. J’aime le corset des siècles derniers avec lequel les poètes ont fait corps et se sont battus. J’aime que leurs langues transcendent le genre et les gens, qu’ils touchent à ce qu’il y a d’universel.


Aujourd’hui, la poésie semble s’abstraire des codes, s’abstraire du sens. Lire de la poésie contemporaine exclut car elle parle à demi-mots un langage crypté. Une amie me disait l’autre jour : « Je n’aime pas me sentir bête quand je lis. Or je ne comprends rien à la poésie d’aujourd’hui. »


Quand donc je reçois le livre, je m’aperçois, ô stupeur !, que c’est de la poésie pour laquelle j’ai posé candidature : Oups !

L’ouvrage traîne sur les meubles, pas trop à découvert, pas trop caché non plus : j’ai désormais un mois pour le lire.


Et je m’y colle.


Et...
Quelle claque !

Je joue le jeu aussi : je lis à voix haute, pour savourer les jeux sonores, les ruptures de rythme. Cela m’aide un peu à raccrocher ensemble des mots séparés par l’espace, à peine réunis par un point. Cela parle, confusément. Je doute de ce que je comprends. Alexandre Lemasson m’aurait-il offert un miroir pour que j’y voie mes propres ruminations ? Je m’inquiète : à interpréter dans mon sens, je risque fort de davantage me dévoiler que de rendre compte du recueil de poésies. C’est risqué.

Mais tant pis. Je me lance.

Le titre ne ment pas : je me retrouve bien Derrière le cri, c’est-à-dire derrière ce qui ne se dit pas, l’innommé, dirait sans doute Alexandre Lemasson. Le cri représente ce qui, dans la souffrance, est viscéral. Or, le corps apparaît à toutes les pages de ce recueil.

Mais ce corps s’articule aux ruminations, puisque, comme le sous-titre l’indique, il s’agit là d’ « un traité de rumination ».
Pas forcément folichonne, la pensée qui s’y dévide. Et elle tourne en boucle. Les mots se répètent.

Peu à peu, on descend dans les méandres. La souffrance, la culpabilité hantent les pages, au gré des jours et des nuits qui jalonnent le recueil. L’acte sexuel est très présent, lié au désir de s’échapper, sans cesse renouvelé, mais teinté d’un sentiment diffus de profaner ? de fuir ?

Alexandre Lemasson se met à nu, au propre et au figuré. Tout n’y est pas beau : c’est viscéral, cru, impudique, comme les pensées qui s’enroulent au fil des pages. J’y ai décelé une souffrance quotidienne, d’homme, et de femme, dont l’acte d’amour est vain (miroir, ô miroir...).

Le poète s’adresse à un « tu » qui semble souvent être la femme aimée mais qui a l’air d’être lui-même, ou d’autres encore.

Ce sont les poèmes en "Je" que j’ai le plus savourés : plus directs, plus violents. Le poète s'y fait remontrance ; il se cache moins derrière la poésie.

Ecce homo, voici l’homme, comme il est, être de désir, s’interrogeant sans cesse et souffrant de vivre autant que de voir mourir.

On peut résumer l'art poétique d'Alexandre Lemasson avec ce dernier poème :
     

Extraordinaire rencontre donc, pas évidente a priori, mais qui interroge et invite à jouer avec les mots :


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