Gingo, Bingo ?

Je vous ai longuement parlé de mon envie de lire Gingo, de Sarah Cohen-Scali ici. Je souhaitais relire une autrice qui m'avait bluffée avec Max, mais aussi voir comment elle pourrait traiter les thèmes de l'adoption et de l'hyperconnexion.
Je remercie donc Gulfstream de m'avoir permis de lire ce livre.😊


Dans la Cité Bleue, où sont parqués les descendants de ceux qui se sont rebellés contre la connexion, Jade souhaite avoir un enfant. Mais les naissances sont contrôlées par la Cité Blanche, cité à la pointe de la technologie. Jade n'aura pas d'enfant naturel, mais elle est autorisée à adopter. Le hic, c'est que les enfants adoptés sont réputés difficiles à vivre et à aimer. 
Contre toute attente, Jade finit par aimer Gingo, l'enfant qu'on lui a confié. 
Mais le contrôle qu'exerce la Cité Blanche sur la Bleue va venir mettre son grain de sel au sein de la famille... Jusqu'où cela ira-t-il ?


Tout est dans la question du titre : Bingo ? Je ressors de ma lecture un peu perplexe : cette histoire est-elle bien finie ? Si oui, est-ce satisfaisant ? A-t-elle eu tous les développements qu'elle aurait mérité ?

Durant la première moitié du livre, j'ai été impressionnée par l’ingéniosité dont fait preuve Sarah Cohen-Scali pour créer de multiples effets miroir avec notre société actuelle. En effet, comment ne pas voir un écho, quand l’autrice décrit les habitants de la Cité Blanche comme des gens affairés, déconnectés des relations humaines et complètement esclaves des écrans et de l’intelligence artificielle qui les guide à longueur de journée, organise leurs vies et prend même des décisions à leur place ? Comment ne pas voir cet enfermement que les hommes ont créé pour eux-mêmes, en développant à outrance la technologie, appauvrissant tout à la fois leur intellect, leur libre-arbitre et leur culture ? 
L'autrice interroge aussi la procréation médicalement assistée : qui y a accès ? Pourquoi et comment ? Quand on en maîtrise les techniques, tous les abus sont possibles : eugénisme et contrôle des naissances. 
Le conflit, qui a opposé les déconnectés aux hyperconnectés, a scindé la société en deux : on retrouve les hyperconnectés au centre de la Cité Blanche, riches et puissants, un peu comme les actuels quartiers huppés de Paris, et les déconnectés en périphérie de la Blanche, dans la Cité Bleue, ce qui n'est pas non plus sans créer un effet d'écho...
Par ailleurs, l'administration a pris beaucoup de pouvoir, dès lors que l'intelligence artificielle a pris le dessus et que la Cité Blanche  a instauré un contrôle de la Bleue : facilitées par les APR (les intelligences artificielles personnalisées de chaque citoyen blanc), les démarches administratives deviennent lentes, laborieuses, voire carrément impossibles, pour les Bleus.

Mais voilà, j’ai souvent dû lutter contre la froideur de l’histoire.  Bien sûr, cette froideur est liée au régime dictatorial instauré par la Cité Blanche et aux traitements inhumains que celle-ci fait subir aux Bleus. 

D'ailleurs, il devient évident que les personnages ne constituent pas le centre de l'histoire : ils font une apparition puis disparaissent sans prévenir, qu’on s’y attache ou non.
En réalité, ce sont la Cité Blanche et la Cité Bleue, les véritables personnages principaux de l'histoire. Sarah Cohen-Scali esquisse le portrait de chacun de ces ghettos. Ainsi, la Cité Blanche est propre, riche, puissante et toute en maîtrise, mais vide : pas de relations sociales, pas de culture, une structure familiale en perdition. La Cité Bleue, quant à elle, entoure la cité Blanche, la ceinture mais lui est néanmoins soumise ; elle est parquée à l'extérieur, subit le contrôle d'identité, aux portes de la Blanche, mais aussi le contrôle des naissances, voire les scientifiques blancs l'utilisent pour faire leurs expérimentations. 

Bien sûr, l'autrice met en scène plusieurs personnages. 
Ainsi, elle nous invite dans le quotidien d'une famille blanche, mais c'est pour mieux nous en montrer une vision révoltante : le couple des parents est insipide ; l'emploi du temps et la santé des enfants sont calculés à la minute près, sans fantaisie, et sans véritable implication des parents, autre que le destin qu'ils leur ont tout tracé. Une fois le portrait de la société Blanche esquissé à travers cette famille, exit la famille : Pfuiiit !  J'avoue d'ailleurs qu'elle ne m'a pas tellement manqué, excepté peut-être la plus jeune, qui donnait des signes de fléchissement...
Heureusement, il y a aussi Jade, et Gingo. 
J'ai trouvé Jade très attachante, car elle est assez proche de moi, en désir et en caractère. D'abord, Jade questionne beaucoup les choses ; elle a le courage, parfois l'impulsivité, de dire et de faire contre l'ordre établi. Ensuite, son désir d'enfanter naturellement est contrarié ; elle se tourne vers l'adoption un peu par dépit et n'est pas certaine de pouvoir accueillir une petite créature aussi moche, braillarde et handicapée que Gingo.
Pourtant Gingo prend son coeur, et à travers elle, il prend le nôtre. Jade comprend son fils et le porte à bout de bras, malgré son handicap et ses prédispositions génétiques supposées ; elle agit souvent en dépit même des instances qui sont censées l'aider à élever Gingo. Par ailleurs, Sarah Cohen-Scali parvient tout à fait à nous faire entrer dans la tête de Gingo, pour nous montrer comment il perçoit le monde et lui-même.
La relation que la mère et l'enfant développent rend Jade admirable et attire la bienveillance du lecteur sur Gingo.
Mais voilà, eux aussi sont laissés sur le bas-côté de la route, à la fin du livre. En tout cas, c'est l'impression que j'ai eue et j'en ai été particulièrement frustrée.

L'intrigue du livre repose également sur un twist, que j'ai assez rapidement deviné : ça m'a un peu gâché le moment de la révélation, en toute toute fin du livre. Je pense que cette fin était maladroite. Personnellement, j'aurais aimé terminer l'histoire avec Jade, ce qui d'ailleurs aurait permis de rester sur une touche plus positive, moins cynique.

D'ailleurs, je m'interroge : quel message porte ce livre ?  (Tous les profs de lycée crieraient sans doute "Haro" sur le baudet en lisant ces mots 😏 : m'en fous, j'assume : quelqu'un qui écrit, écrit toujours pour dire quelque chose, et s'il pense ne pas le faire ou ne le fait pas, c'est qu'il n'a rien compris à son activité, na !
Donc, quel est le message, disais-je ? S’agit-il de nous faire prendre conscience des dérives de l’hyperconnexion ? De montrer ainsi que cette dernière menace l'individu et son libre-arbitre ?  Ou encore de mettre en évidence le risque de dictature lié au contexte actuel ?  et de montrer qu’il faut lutter pour ce en quoi on croit ? Mais si toute lutte est vouée à être tuée dans l’œuf ? Si toute velléité de subversion est déjà contrôlée et circonscrite par l’organisation même de la société, à quoi bon ?? Comment le message peut-il alors être positif ? On me dira qu’il n’est pas utile qu’une dystopie porte un message positif. Possible, mais que retirer d’une telle histoire, sinon ? Un froid dans le dos ?
J'ai comme le sentiment que tous les fils n'ont pas été tirés, sans bien savoir lesquels auraient dû l'être...😥


Voilà, voilà, Gingo est un livre qui interroge et ne laisse pas indifférent. A plusieurs reprises, je me suis exclamée, offusquée ; j'ai même dû poser le volume,  parce que je trouvais certains passages insoutenables. Il glace le sang, un peu à la manière de la série The Handmaid's tale, car on a l'impression que la situation nous pend au nez, si on ne fait rien dès maintenant. Mais le traitement du sujet, certainement induit par le sujet lui-même, crée une sensation de froid, voire d'insensibilité, à laquelle n'échappent pas les malheureux personnages auxquels on a pu s'attacher. J'en suis ressortie frustrée, avec un certain sentiment d'inachèvement.





***

Pour aller plus loin :



Les thématiques de ce livre vous parlent ? 



Penchez-vous également sur ce livre : il s'agit du journal de bord d'un homme souffrant d'un important retard mental qui se fait opérer et voit sa vie changer du tout au tout.
Cliquez sur l'image pour accéder à  la page du livre sur Babelio.


Concernant les dangers des technologies numériques, Gulfstream, et surtout l'une de ses autrices, Agnès Marot, semble avoir abordé le sujet dans les deux livres suivants : 
     

Je ne les ai pas encore lus, mais je compte m'y mettre bientôt !

N'oublions pas le maître incontournable de l'intelligence artificielle (D'ailleurs Sarah Cohen-Scali confie s'en être inspiré pour les trois lois inculquées aux enfants😉), Isaac Asimov et son cycle des Robots !



Enfin, pensez également à l'excellentissime - mais tout à fait glaçante - série Black Mirror.




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