Les Fivettes, d'Eleonora Mazzoni



En France, la couverture est bien moins jolie que l'Italienne, même si le symbole est le même : elle ressemble à une couverture de manuel ou de récit témoignage. Fétichiste des couvertures, je serais passée à côté, mais heureusement, @Babelio nous offre la possibilité, avec #MasseCritique, de sortir de notre zone de confort et de dépasser nos préjugés. Et je dis heureusement ! Et merci ! Car depuis que je participe à #MasseCritique, j'ai fait de bienheureuses rencontres que mon portefeuille ou ma raison n'auraient pas permises.




Dans ce roman un peu autobiographique, Eléonore Mazzoni nous fait suivre une tranche de la vie de Carla. Son envie d'être mère est arrivée à tard, en découvrant le bon compagnon. Malheureusement, les années ont passé - Elle a 35 ans -, et elles continuent de passer sans succès. Carla nous initie aux forums Internet, au vocabulaire de la communauté des fivettes, aux salles de longue attente, à l'usine froide et artificielle de la PMA, au couple qui se débat avec un désir devenu obsessionnel et qui n'est pas satisfait. 



J'ai retrouvé la Mira d'il y a quelques années, son surinvestissement dans ce projet, qui finalement a pompé toute joie et toute perspective dans sa vie : les moments de grand bonheur, quand le test dit « Oui » et la brutale, ou lente et cruelle, dégringolade, quand un spécialiste déclare que la grossesse est arrêtée, que les bêta (hormones de grossesse), qui grimpent encore, ne grimpent pas assez, qu' « Il va falloir expulser ». J'ai revécu le manque certain de psychologie des centres, l'humour cru des essayettes qui se défendent d'un système qui les broie, avec les mots qu'elles trouvent, les savoirs qu'elles accumulent, les pensées magiques auxquelles elles s'adonnent tout en entendant la voix de la Raison se moquer d'elles à gorge déployée. 

Tout prend un coup, dans ces cas-là : la femme qu'on est, la mère qu'on n'est pas, la femme qu'on n'est plus, le couple qui dégringole dans le mécanique et le mutisme, quoiqu'on se soit aimé très fort et qu'on s'aime toujours, son projet de vie, ses espérances, ses valeurs, son job, auquel on a beaucoup donné pour si peu obtenir au final...


J'ai trouvé qu'Eleonora Mazzoni nous décrit bien tout ce qui se joue en-dedans. Elle y parle du corps, qui vieillit, de la mort qu'on a vécu (la fausse couche), de toutes celles qui ont accompagné notre vie et de celle qui achèvera la nôtre.
Elle nous montre les oscillations de la volonté, ce qui pousse à continuer - l'espoir, les statistiques, les sacrifices déjà accomplis, le système dans lequel on s'est emprisonné soi-même... et ce qui pousse à arrêter, - parfois les mêmes raisons...
Elle retisse la même chaîne que j'ai tissée : celle des femmes de la famille, qui ont tant perdu, et de différentes façons, avec la maternité : sa mère, dont l'amour est tellement pudique et maladroit ; sa grand-mère, dont les propos si sages viennent d'une expérience similaire.





C'est un roman qui touchera à n'en pas douter celles qui comme moi, savent. Elles s'y sentiront reconnues et comprises. Les autres seront plutôt sensibles à la vraisemblance psychologique : quoique la douleur de n'être pas mère et le deuil des enfants perdus soit au-delà de la compréhension, la souffrance, quand on reconnaît la partager, peut rapprocher les gens. De plus, la langue est belle, parsemée d'images inédites mais très justes. Enfin : petite mention spéciale de la Lettres classiques que je suis, pour ces discussions virtuelles et riches d'enseignement que la narratrice tient avec le Sénèque des Lettres à Lucilius !




Commentaires

Les articles que vous avez le plus appréciés cette semaine