La première fois que j'ai été deux, de Bertrand Julien-Nogarède


C'est l'auteur, Bertrand Julien-Nogarède, qui m'a proposé la lecture de son roman ! Youpiiiii !!


Karen est en terminale. Elle a des amis auxquels elle tient beaucoup, la séductrice en série Mélanie et Jonathan à la mémoire hors du commun et une maman dépressive. Quand Tom arrive dans sa classe, c'est la révolution dans la vie de Karen, qui se retrouve fascinée par ce jeune homme à l'allure si décalée et à la mine si fermée. 
C'est la musique qui va les rapprocher. Mais Tom n'a qu'une idée en tête : retourner à Londres...


Si je m’étais arrêtée aux deux-tiers du roman, j’aurais dit ceci : " Mouais, c’est une romance contemporaine ; une lycéenne rencontre un Anglais exotique et découvre l’ivresse de l’amour. Peu d’actions, beaucoup de discours intérieur et de réflexions sur la vie. Des événements banals, avec un peu de rêve dedans : un joli scooter et des musiques rétro, une époque révolue et la ville de Londres, vue en touriste et en citadin Londonien." La romance, j'en lis un peu, mais ce n'est pas ma came principale... Au moins ici s'accompagne-t-elle de plusieurs éléments qui lui donnent un contexte intéressant : l'Angleterre et les années 80.


A présent que je referme le livre, je me dis que le sujet était peut-être ailleurs. Ce dont il nous parle, c’est de ce moment où adolescent, on cesse d’être immortel, ce moment où on touche ce qu’il y a de plus précieux ou de plus vertigineux dans la vie et où on prend conscience que ça peut vraiment s’arrêter, bref ce moment de bascule vers le monde des adultes. La question est donc : l’auteur s’en est-il rendu compte à temps ? A-t-il traité ce sujet vraiment tout le temps ? 

Mais quel style ! L’humour un peu cynique de la narratrice rappelle le ton adopté dans le délicieux Les Petites Reines de Clémentine Beauvais. C’est assez rare, dans la littérature young adult pour être souligné : souvent traduits, ces livres ont tendance à flatter l’imaginaire du lecteur, par une intrigue recherchée et un univers bien construit, ou à susciter son empathie en offrant des personnages complexes bien campés et des thèmes et sujets à réfléchir. On s’attarde rarement sur le style, quand les mots s’effacent efficacement derrière l’histoire. Et pourtant, ça donne souvent une coloration particulière à l’histoire, une autre forme d’illustration du sujet, la démonstration que seul son auteur pouvait faire. 
Quand au choix des temps, il m’a semblé assez cavalier. Je ne saurais dire si l’utilisation en est brillante ou bien si elle est maladroite, mais c’est un joli mélange de deux systèmes de temps qu’on maintient séparés d’habitude : celui du présent et celui du passé. Où se tient donc la narratrice ? Dans l’histoire qu’elle nous raconte ou bien très longtemps après ? Parfois, j’ai penché vers l’idée d’une maladresse. Honnêtement, je ne saurais trancher.

Le personnage de Karen est intéressant : une sorte de vieille âme, un peu hors de son temps, qui l'ausculte avec un regard critique et c'est assez drôle. Construite par les livres, sans doute, elle n'a encore rien vécu, même si elle a beaucoup subi. Se superpose donc à elle une Karen de dix-sept ans, qui pense comme je réfléchissais au lycée : "Les garçons sont des crétins qui ne valent pas un rond." et qui ne peut s'empêcher d'être une grande romantique, qui se cache.

L’Anglais m’apparaît comme davantage comme une image, une idéalisation de l’amoureux parfait, que comme une véritable personne. L’héroïne s’étonne d’ailleurs régulièrement de la perfection de Tom. Est-il crédible ? Pas sûr, mais il répond aux fantasmes des filles qui rêvent de rencontrer un galant jeune homme un peu old fashioned. Lui aussi a des propos tellement plus vieux que lui. On pourrait l’attribuer à son amour de l’époque révolue. Et tenez-vous bien ! Son nom de famille est Darcy !!😜

Même si l'histoire d'amour dévore une grosse partie du roman, plusieurs thématiques sont abordées, parmi lesquelles l'amitié et le monde des adultes.

L’amitié joue un rôle, même si elle n’a pas attiré plus que ça mon attention dans les deux premiers tiers du roman. J’ai aimé Jonathan, son incroyable mémoire et son amour à sens unique ; Mélanie a tout de la copine un peu chiante mais toujours là. On voit bien que ces deux-là constituent le socle de Karen, peut-être même appartiennent-ils au socle passé sur lequel se reposait la Karen d'avant. Car il s’agit de parler de métamorphose, n’est-ce pas ? De ce moment où on passe à l’âge adulte ? Où on fait de vrais choix, sans toujours en prendre la mesure, qui auront leur lot de conséquences ?

La narratrice nous montre aussi le monde des adultes. Elle le passe à la moulinette des critères exigeants de l’adolescent : menés par l’égoïsme, incapables de vivre avec les choix qu’ils ont faits, assez peu fiables en fait parce qu’eux-mêmes perdus, excepté peut-être ce couple d’inséparables que représentent les grands-parents de Tom.

C
oncernant l'intrigue, outre le traitement du sujet, qui n'apparaît que très tard dans le roman, j'ai trouvé certains choix un peu contestables, mais bien sûr, ce n'est que mon avis ! Ainsi, où Karen penche-t-elle, finalement ? Dans le grand romantisme du roman psychologique du XVIIe, ou dans le pragmatisme le plus absolu ? Elle est quand même sérieusement tiraillée entre l’impérieux besoin de ne pas se faire d’illusion et l’espoir fou de vivre grand et large. Un tiraillement que je connais assez bien mais dont je conteste parfois la véracité...😋


Selon moi, ce livre est une promesse dont le sujet n’est pas encore tout à fait maîtrisé mais où l’auteur a expérimenté plusieurs choses (style, typologie de personnage, intrigue...) qui feront mouche bientôt. L’héroïne est attachante, son histoire plutôt réaliste et la fin nous pose question, ce qui est bon signe.





Commentaires

Lyndona a dit…
Je découvre ton blog, et wahou !
J'aime beaucoup.
Ce livre a l'air chouette, et tu m'as convaincue avec les mots "humour cynique" :)
Au plaisir !

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